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Légère baisse des ventes de pesticides en 2015

 

LE MONDE 30/01/2017

Les ventes de pesticides ont baissé pour la première fois en France depuis 2009

L’agriculture française reste malgré tout très fortement consommatrice de produits phytosanitaires, avec une hausse de 20 % en sept ans.

LE MONDE | 31.01.2017 à 15h20 • Mis à jour le 01.02.2017 à 02h20 | Par Audrey Garric et Pierre Le Hir

Les mises sur le marché de pesticides se situaient à environ 77 millions d’unités en 2009 en France. REMY GABALDA / AFP

C’est un résultat en trompe-l’œil. Le recours aux produits phytosanitaires (insecticides, fongicides, herbicides) a connu en France un léger recul entre 2014 et 2015, marquant pour la première fois une baisse depuis 2009.

Pour autant, cette inflexion ne suffit pas à enrayer la tendance de fond à l’utilisation massive de pesticides dans l’Hexagone, l’un des plus gros consommateurs de ces substances en Europe. Conséquence : des effets délétères pour l’environnement, mais aussi pour la santé des agriculteurs et des riverains des zones d’épandage.

Selon les données communiquées lundi 30 janvier par le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, le « nombre de doses unités » (NODU) de produits phytopharmaceutiques – soit l’intensité du recours aux pesticides – a diminué de 2,7 % en 2015, par rapport à 2014, pour les usages agricoles. Le constat semble encourageant, mais le ministre lui-même reste prudent, évoquant une « inversion de courbe » qu’il s’agit de « poursuivre et de conforter ».

De fait, les chiffres cumulés sur la période 2013-2015, afin d’intégrer les variations climatiques, montrent, en moyenne triennale, une hausse de 4,2 % par rapport à la période 2012-2014. Le repli observé en 2015 intervient après une année 2014 où l’emploi de pesticides avait bondi de 9,4 %. Le score de 2015 se classe, en réalité, au deuxième plus haut niveau depuis qu’a été mis en place un indicateur de suivi. En sept ans, l’emploi de ces produits chimiques a progressé de 20 %.

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Météo favorable

En outre, il est impossible de savoir si le fléchissement de 2015 est dû à un comportement plus écologique des agriculteurs, ou s’il tient surtout à une météorologie plus favorable, la viticulture, grosse consommatrice de pesticides, ayant été faiblement affectée par l’oïdium et le mildiou cette année-là.

Enfin, contrairement aux bilans des années précédentes, les données livrées lundi par le ministère de l’agriculture s’avèrent parcellaires. Elles n’indiquent pas les volumes de pesticides utilisant des molécules suspectées d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction humaine.

Surtout, l’indicateur NODU intègre seulement l’épandage de produits phytosanitaires et non l’enrobage de semences (majoritairement par des néonicotinoïdes, ces insecticides « tueurs d’abeilles ») ou les traitements des sols, deux techniques de plus en plus utilisées. Des chiffres qui seront dévoilés « dans les prochaines semaines, une fois les calculs terminés », indique le ministère.

Objectifs difficilement atteignables

En tout état de cause, on reste très loin de l’objectif du plan gouvernemental Ecophyto. Lancé en 2008, dans la foulée du Grenelle de l’environnement, ce programme d’actions visait au départ à diviser par deux le recours aux pesticides d’ici à 2018.

La cible apparaissant hors de portée, une nouvelle feuille de route a été définie. Moins ambitieux, le plan Ecophyto 2, doté d’un budget de 71 millions d’euros par an, conserve l’objectif d’une baisse de moitié de l’usage des produits phytosanitaires, mais à l’horizon 2025. Avec comme palier intermédiaire une réduction de 25 % en 2020. On voit mal, au rythme actuel, comment cette première marche serait atteinte.

« L’agriculture française continue de faire appel massivement aux pesticides, déplore François Veillerette, directeur de l’association Générations Futures. Elle n’a pas encore pris le tournant de systèmes de production intégrée et biologique, seuls à même de réduire vraiment l’usage de produits de synthèse dont on connaît les dangers pour la santé et l’environnement. »

Les enquêtes mettent en évidence une moyenne, variable selon les régions et les années, de quatre traitements chimiques par an pour le blé tendre, cinq pour le colza, neuf pour les fraises, douze pour les tomates, dix-sept pour les pêches, dix-huit pour les pommes de terre, dix-neuf pour la vigne champenoise, et même trente-quatre pour les pommes.

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Succès de fermes pilotes

Pourtant, observe François Veillerette, « la démonstration est faite que l’on peut produire autrement ». Pour preuve le réseau de fermes pilotes Dephy, mis en place en 2010 par le plan Ecophyto pour expérimenter des techniques économes en produits phytopharmaceutiques.

En cinq ans, ces établissements, actuellement au nombre de 2 900, ont réussi à réduire la fréquence des traitements de 11 % pour les grandes cultures, de 12 % pour la viticulture, de 25 % pour la production de légumes ou encore de 33 % en horticulture. Et ce, sans impact sur la productivité ni sur la marge des exploitations.

« Maintenant que l’on a démontré que c’était possible, il faut diffuser ces méthodes à tous les agriculteurs », explique Bruno Ferreira, chef de service à la Direction générale de l’alimentation. Pour cela, le ministère mise sur l’instauration de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP). Ce dispositif doit inciter les principaux distributeurs de pesticides à promouvoir auprès des agriculteurs « des bonnes pratiques » pour en limiter l’usage. Les vendeurs qui n’auront pas rempli leurs objectifs seront pénalisés par des amendes à partir de 2022.

Le Conseil d’Etat avait annulé, fin décembre 2016, l’ordonnance encadrant cette expérimentation, à la suite d’un recours des fabricants et distributeurs de pesticides. Les CEPP ont été réintroduits dans la proposition de loi contre l’accaparement des terres, votée le 18 janvier à l’Assemblée nationale et qui doit être examinée au Sénat le 7 février.

« Résistances considérables »

A ce stade, la députée Delphine Batho (Parti socialiste, Deux-Sèvres), juge que « le plan Ecophyto est un échec car sa logique est mauvaise ». Selon elle, « au lieu d’avoir une vision globale, on fait des politiques publiques en tuyaux d’orgue : les pesticides d’un côté, les nitrates de l’autre, sans regarder les impacts généraux sur la conduite d’une exploitation agricole. »

« Les résistances sont considérables, de la part des multinationales de l’agrochimie, mais aussi des agriculteurs qui ont du mal à changer leurs habitudes, poursuit l’ancienne ministre de l’écologie. Le gouvernement a aussi sa responsabilité : il a plafonné les aides au bio et tarde à les distribuer. » Il est urgent, estime-t-elle, de « mettre fin à l’addiction française aux pesticides ».

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Du côté des agriculteurs, on préfère saluer un premier pas. « Pour aller plus loin, il faut investir dans la recherche appliquée afin de trouver des alternatives aux produits phytosanitaires, qui restent rentables et facilement applicables », avance Eric Thirouin, président de la commission environnement à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Le bilan de l’année 2016, dont les résultats ne seront connus que dans un an, dira si l’agriculture française a réellement amorcé son sevrage des pesticides.

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